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Biographie

Watermael, 1954, encre de ChineJacques, François, Emile Biesemans est né le 8 juin 1919 au 23, rue des Marronniers à Bruxelles, à l'ombre de l'église Saint-Jean-Baptiste, l'ancienne église du Béguinage, dans une famille habitant Bruxelles depuis quatre générations. En 1924, la famille s'installe à Watermael-Boitsfort, à l'époque commune demeurée assez campagnarde en bordure de l'agglomération, comportant deux centres de villa-ge, quelques quartiers d'habitat et bon nombre de propriétés d'agrémént de la bour-geoisie bruxelloise dans un paysage vallonné avec beaucoup de verdure, située en outre à la lisière de la forêt de Soignes.


Bruxelles, 1958, encre de Chine
Il n'empêche que le jeune Emile deviendra un authentique «ketje» bruxellois, qui connaîtra le Bruxelles véritablement populaire de l'entre-deux-guerres et des premières années d'après-guerre, une ville très vivante qui «bruxellait», avec son caractère quelque peu opiniâtre et son langage spécifique. Il a toujours continué à aimer la ville, vu avec regret à quel point elle se détériorait sur le plan urbanistique dans les années soixante et soixante-dix et constaté avec plaisir comment on s'est efforcé de conférer à nouveau un visage plus humain à certains quartiers dans les années quatre-vingt.

Il existe une certaine tradition artistique au sein de la famille: le père et un oncle maternel sont des peintres du dimanche ayant quelque mérite. Emile commence très tôt à dessiner: des esquisses et des portraits s'inspirant de préférence des leçons d'histoire remplissent ses cahiers. Le contact avec l'oeuvre d'Alfred Bastien, peintre impressionniste connu, dans la maison où celui-ci avait travaillé dans le cadre pittoresque et romantique de l'ancienne abbaye de Rouge-Cloître, sur le territoire de la commune voisine d'Auderghem, semble susciter chez lui à la fois un désir et une vocation. A partir de 1933, Biesemans suit les cours à l'école normale Charles Buls à Bruxelles. L'artiste peintre Armand Massonet y est son professeur de dessin. En 1934, Emile lui présente sa première petite peinture à l'huile: une vue de la vallée de la Woluwe et de la «colline» de Tenreuken en direction de l'actuelle avenue Jean Van Horenbeeck, depuis la maison où il habite, au 26, place du Logis, comportant beaucoup de vert et quelques maisonettes à l'avant-plan Massonet l'encourage beaucoup. «On vient au monde avec une petite idée et on la poursuit toute sa vie», l'une de ses phrases clés. Ainsi il a également mis le jeune Biesemans sur la voie de la beauté et l'a incité à la suivre. Mais la vie est là, qui a ses exigences... En 1935, Biesemans va travailler comme garçon de course à l'Union économique, une coopérative pour les agents de l'Etat située au centre de Bruxelles. A partir de 1936, il suit les cours de dessin publicitaire et de décoration — c'est l'époque de l'Art déco — chez Bailly, à l'académie des beaux-arts d'Ixelles, où il assiste aussi au cours de dessin de Swyncop.

sur le front au canal Albert, 1939-1940En 1939, il effectue son service militaire, qui deviendra mobilisation, suivie par la guerre. Le 27 mai 1940, l'avant-dernier jour de la Campagne des dix-huit jours, il est fait prisonnier par les Allemands. Libéré après six mois, il commence à travailler en octobre 1941 à la police communale de Watermael-Boitsfort. Il y parcourra toute la carrière d'agent supplétif à commissaire faisant fonction avec le grade de commissaire adjoint inspecteur. A partir de 1945, Emile se met à nouveau à dessiner et à peindre avec de la peinture à l'huile et à l'eau. Sa nouvelle profession ne convient pas très bien à son caractère. Toutefois, si elle lui révèle la réalité et la misère humaine, elle lui permet aussi d'apprendre à connaître la commune jusque dans tous ses recoins, de l'observer sous une lumière toujours changeante et dans des couleurs variées, dont il s'imprègne. Et par le biais du Rouge-Cloître, où l'esprit de tant de noms d'artistes — Wouters, Bastien, De Kat, Oleffe, Haine, Delvaux, De geld, Volckaert, Javaux,... — semble toujours présent, il en fait autant avec la vaste forêt de Soignes, à l'époque encore très calme et peu fréquentée. Promeneur infatigable, il ne cesse de la parcourir, traduisant son amour de la nature grandissant dans le carnet de croquis qu'il porte toujours sur lui — il en remplira des dizaines.

Bruxelles, Anderlecht, mariage en 1948 avec Elisa Van Hoe officier de police, 1959 dessin de son ami Jean Bastien, neveu du peintre Alfred Bastien

En 1948, Biesemans se marie avec Elisa Van Hoe. Un fils, Sam, naît en 1950. L'après-guerre annonce un avenir un peu plus prometteur. Mais il faut d'abord travailler et vivre. Lecteur vorace depuis sa jeunesse, Emile s'intéresse de plus en plus au théâtre, au film et à la musique. Flânant dans les rues du vieux Bruxelles, il visite à chaque occasion les musées et des expositions à n'en pas finir. Il assimile avidement le plus possible, peut-être moins pour satisfaire un appétit intellectuel que par un intérêt humain positif pour les hommes en général et pour des individus qui essaient d'exprimer leurs interrogations, joies et chagrins de l'une ou l'autre manière créatrice en particulier. L'aspect métaphysique de la vie et de l'existence ne le laisse pas indifférent, mais il préfère l'aborder par le biais du plaisir passionné et actif du regard et de l'écoute, pour réagir ensuite à ce qu'il voit et entend en l'exprimant sur le papier ou sur la toile, au moyen du crayon ou du pinceau, activité qui lui apporte un plaisir intense au sens le plus explicite du terme. Et, bien sûr, il s'adonne au dessin et à la peinture, posément mais sans arrêt. Watermael-Boitsfort et la forêt de Soignes demeureront pendant très longtemps ses sources d'inspiration de prédilection. Mais petit à petit le cercle s'élargit: la campagne brabançonne, depuis la région de Louvain jusqu'aux quatre coins du «Pajottenland» avec les vallées de la Senne et de la Dendre, présente un choix infini de paysages variés avec des vues toujours nouvelles sur quelques villages ou sur des fermes bien situées.

Ardennes flamandes Ardennes flamandes

Des excursions et vacances familiales permettent de découvrir de jolis coins en Flandre — notamment les Ardennes flamandes —, de se voir confronté à un autre paysage et à des ciels différents au littoral, occasionnellement aussi au pays noir du Borinage.

le carnet de croquis est toujours à portée de mainDes excursions et vacances familiales permettent de découvrir de jolis coins en Flandre — notamment les Ardennes flamandes —, de se voir confronté à un autre paysage et à des ciels différents au littoral, occasionnellement aussi au pays noir du Borinage. Le carnet de croquis est toujours à portée de la main, l'oeil enregistre imperturbablement, les doigts s'impatientent de commercer le jeu des lignes et des couleurs. Entre-temps, l'éventail des sujets s'est étendu aux tableaux de fleurs et aux natures mortes — mais il préférera toujours la nature en plein air —et également à une première série de portraits de sa femme. Il s'essaie également au dessin à la plume et à la linogravure. Emile dans son atelier avec son épouse Elisa, son modèleDes contacts sont établis avec d'autres personnes partageant la même passion. En 1951, Biesemans devient membre du Cercle artistique de Watermael-Boitsfort, où il peut discuter, regarder, travailler avec d'autres. Il commence à participer à des expositions à partir de 1954. Pendant quelques années, il est également membre du cercle artistique «Onze kunst» à Neder-over-Heembeek/Bruxelles. A partir de 1958, il participe régulièrement aux expositions de ces deux cercles. Entre-temps, il y a eu aussi quelques visites à Amsterdam et à Paris, deux villes dont l'atmosphère enchantera toujours Emile. En 1976, il séjourne en Bretagne où il est fascine par les paysages aux rochers granitiques aux environs de Carantec. En 1981, il y a encore un séjour dans la région des falaises de Robin Hood's Bay, dans le nord de l'Angleterre. En 1970, avec son frère et quelques amis, Biesemans crée à Watermael-Boitsfort le cercle artistique flamand «Sakura» — d'après la dénomination japonaise du cerisier japonais, qui y égaie les parcs et les cités-jardins Logis et Floréal. Il en demeure pendant huit ans le président, le secrétaire et le principal animateur et participera à tous les expositions de groupe. En 1979, Biesemans prend sa retraite. Il sait que sa santé ne lui permettra pas de réaliser tous les rêves caressés pendant des années. Jouissant pleinement de la grande liberté dont il fait maintenant l'expérience, l'autodidacte quelque peu anarchiste qu'il a toujours été décide de s'accorder une cure de jeunesse. A la «Rijksschool Beeldende Kunsten» à Woluwe-Saint-Pierre, chez Gerard Alsteen et Luc Hoenraet, il apprend à dessiner d'après modèle vivant et s'initie aux techniques de gravure. Au «Rijkscentrum Hoger Onderwijs» à Etterbeek, Carl Deroux et Maio Wassenberg mettent l'accent sur l'aspiration à la simplicité et à la pureté du dessin linéaire ainsi que sur l'abstraction dans l'expression et la composition. Du coup, Biesemans diversifie beaucoup plus ses formes d'expression. Avec un plaisir juvénile manifeste, et parfois avec quelque petite maladresse, il se laisse inspirer par des motifs Art nouveau et par d'autres exemples de style, réalise une série de tableaux stylisés — «Forêt de Soignes», «Ardennes flamandes» et «Limbourg» décorent des locaux dans les nouveaux bâtiments de la «Vrije Universiteit Brussel» —, il dessine et peint une collection de nus féminins, explore les possibilités du pastel et réalise des gravures. Tout cela ne l'empêche aucunement de revenir à ses premières amours, la peinture et l'aquarelle, avec ses sujets classiques. La maladie met fin à cinq années d'activité intense et diversifiée. Biesemans reste à moitié aveugle pendant plusieurs mois. Se rendant compte qu'il ne pourra plus jamais dessiner ou peindre comme auparavant, il se tourne vers la plume maintenant. Depuis 1970, il écrivait occasionnellement, tel un mini-Simon Carmiggelt bruxellois, de petites chroniques en dialecte pour la publication «Wabo» du conseil socio-culturel flamand local, Il veut comprendre comment et pourquoi il est finalement parvenu à faire quelque 2500 toiles et dessins et essaie aussi de formuler sa philosophie des valeurs douces. Il s'efforce aussi bien matériellement que mentalement de mettre un peu d'ordre dans les carnets de croquis, dessins, aquarelles et toiles encadrées ou non accumulés pendant toutes ces années. Hésitante, la main continue à interroger le crayon : elle semble avoir conservé le geste, quelques traits s'accordent encore pour devenir une maison, une ferme ou un arbre, mais finalement il préfère écrire un énième aperçu personnel de l'histoire de l'art en raccourci... au toutes sortes de considérations. Emile Biesemans a avant tout voulu être un homme parmi les hommes, en faisant le plus possible le bien. Humanité et amitié constituent deux fils rouges qui guident sa vie et son oeuvre. En tant qu'artiste également, il a voulu rester fidèle à cette philosophie.

Emile dans son atelier  plusieurs peintures décorent les bâtiments de l’université de Bruxelles VUB 

Il ne s'est pas tourné vers le circuit commercial. «L'art est un mensonge, mais tout le monde le sait et l'admet, mais j'ai détesté le mensonge et les menteurs.» Ceux qui voulaient le connaître et le suivre dans cette quête de quelque chose d'inconnu qui semblait mystérieusement se déplacer à chaque fois et au sujet duquel on ne cesse de s'étonner étaient et sont toujours les bienvenus lors d'une exposition ou chez lui. Maintenant qu'il a atteint l'âge biblique de 70 ans, il est parfaitement conscient de la destinée finale de l'être humain, mais il espère néanmoins que d'autres hommes après lui pourront encore prendre plaisir à tout ce dont il a lui-même joui durant toute sa vie. C'est dans les bagages d'autres frères humains qu'un certain nombre de ses oeuvres ont, somme toute, fini par se retrouver aux Pays-Bas, en France, en Italie, en Angleterre, en Australie, au Pérou et aux Etats-Unis. Laissons le mot de la fin à Emile Biesemans même: «Mon travail n'est pas utile maintenant, mais, sait-on, plus tard ? — «Vanité, tout n'est que vanité!» — J'ai oeuvré pour mon plaisir — je l'ai eu, personne ne pourra me le prendre — mais aussi pour des gens que je ne connais pas et qui ne me connaîtront pas. Peut-être mon travail sera-t-il détruit par quelques iconoclastes imbéciles, par une catastrophe ou par l'indifférence. Tout est vanité, je le sais, mais j'ai choisi cette vanité innocente qui est la mienne et que je préfère à d'autres vanités.» (extrait des «Aveux d'un peintre», juin 1987)

Sa santé continue à sa détériorer, il devient aveugle et meurt le 27 septembre 1996, quelques mois après avoir eu la joie de connaître la naissance de Matteo son seul petit-fils.

Texte de Willy Devos